Il est quelques fausses vérités que seuls les procédés scientifiques et les investigations de terrain peuvent démonter. C’est le cas des idée reçues sur Jerusalem au XIXè siècle : il n’y aurait plus de vestiges de l’architecture juive, seuls subsisteraient des vestiges de la décadence grecque ou romaine.

Voyons ensemble comment Jérusalem est (re)devenue la capitale du judaisme dans l’esprit de France. Pour cela replaçons nous dans le contexte culturel de l’époque.

A partir de 1824 les expéditions se multiplient en Egypte pour découvrir les hieropglyphes déchiffrés par Jean-François Champollion. Les comptes rendus issus des voyages dans la région provenant de peintres ou scientifiques, traitèrent entre autres de la Palestine et furent reçus avec scepticisme.

En ce siècle de révolution industrielle, la photographie fût inventée en 1839 par Daguerre et Niepce : un procédé recommandé par l’Académie des Sciences pour attester de la réalité. Les premiers à utiliser ce procédé furent de riches voyageurs ou peintres tel que Joseph-Philibert de Prangey Girault qui ramène les toutes premières images « pour de vrai » de Jérusalem en 1844. Ce sont des daguerreotypes, c’est-à-dire des plaques de cuivre photosensibilisées. Ces images ne sont qu’une petite partie de son voyage autour de la Mediterranée et passent presqu’inaperçues. Elles ont été retrouvées en 1920 et leur caractère précurseur n’est apparu qu’alors.

Les polémiques historiques autour de Jérusalem naissent en 1853, lorsque l’archéologue Louis F. Caignart de Saulcy illustra ses investigations dans cette cité par des dessins qui furent jugés comme fantaisistes, notamment car ils remettaient en cause la datation présumée des remparts de Jerusalem et les attribuaient à l’histoire juive.

Auguste Salzmann, peintre issu d’une riche famille alsacienne (protestante ?), prit fait et cause pour Saulcy et se fit missionner par l’Etat français pour « rendre un vrai service à la science » et aller étudier de manière fiable les monuments de Jerusalem. Démarche que la photographie pouvait rendre possible en 1854 grâce à l’évolution technique représentée par le négatif papier, plus maniable que les plaques de cuivre et surtout reproductible (malgré sa fragilité et ses aspects encore parfois flous). Salzmann resta quatre mois à Jérusalem et rapporta environ deux cents clichés.

Ses conclusions, illustrant ses photos donnèrent raison à Saulcy : « Ce qu’on est convenu d’appeler l’enceinte du temple, n’est pas une enceinte, mais bien une construction destinée à soutenir le massif construit par Salomon, pour y élever le temple … La partie la mieux conservée de l’enceinte est, sans contredit, celle appelée Heit-el-Morharby (mur occidental), nom qu’à Jérusalem on donne à un énorme pan de mur salomonien ; les juifs vont y prier et se lamenter le vendredi….. En présence d’un pareil spectacle, on est sous l’influence de bien saisissantes réflexions. Ce peuple disséminé sur toute la terre, ces hommes sans patrie, ces parias éternels n’ont qu’un but, celui de venir se creuser une tombe dans la vallée de Josaphat et de s’y endormir à l’ombre de leur temple. Cette nation proscrite, abandonnée de tous, il ne lui reste que des larmes et un coin de mur pour y pleurer. Et cependant cette race disparue vit ici, à son berceau, aussi vivace, aussi fanatique que jamais. Ses lois, ses institutions, ses mœurs, rien n’a changé, et tout le reste a été emporté comme par le vent. Des nations entières ont disparu, leur langue est oubliée ; et c’est toujours en hébreu que le Juif maudit ses oppresseurs et prie son Dieu. »

Tirées par la plus célèbre imprimerie photographique de l’époque (Blanquart-Evrard) et publiées en album en 1856, les photographies de son voyage furent vendues au prix exorbitant pour l’époque de 1422 Francs et ne connurent pas un franc succès en librairie, car elles apparaissaient comme destinées à des scientifiques.

Paradoxalement, la technique de Salzmann est aujourd’hui reconnue comme parée d’une richesse esthétique beaucoup plus grande que celles de vues archéologiques plus classiques d’époque (Maxime Du Camp ou Louis de Clercq). Grâce à ses qualités de peintre, il compose ses vues de détails architecturaux comme des tableaux. On reconnaît son œil dans sa manière d’utiliser la lumière naturelle pour créer des contrastes forts.

Actuellement l’on peut retrouver l’intégralité de son album original dans les collections de la Bibliothèque Nationale et nombre de ses photos ont été acquises de manière dispersée par les plus grands musées du monde tels que le Met à New York ou le Getty Museum à Los Angeles ou encore le Israël Museum de Jerusalem.

Ce n’est que vers 1865 que la photographie plus « touristique » sur Israel se développe, par l’implantation d’ateliers professionnels dans la région : (Krikorian réside en Israel, Bonfils réside au Lyban, les frères Zangaki résident en Egypte).

Le photographe le plus prolifique sur la Terre Sainte est sans conteste Felix Bonfils qui proposait ses clichés aux touristes, bien avant que la carte postale n’existe ou même que l’on puisse reproduire en grand nombre les images. En 1877, il publie cinq volumes comportant chacun une quarantaine de photographies soigneusement décrites : « souvenirs d’Orient : album pittoresque des sites, villes et ruines les plus remarquables … » . Pour cette série, Bonfils obtient une médaille à l’exposition universelle de Paris en 1878 et une autre à Bruxelles en 1883. Son travail est répertorié dans les plus grandes bibliothèques du monde entier.

De tous temps Jérusalem était une star attirant sur elle les objectifs et ce, bien avant l’invention du flash (env.1890).

 

Patricia Levy – novembre 2018

 

Sources :

  • Ouvrage d’Auguste Salzmann : « Jérusalem : étude et reproduction photographique des monuments de la Ville Sainte, depuis l’époque judaique jusqu’à nos jours » Paris, Gide et Baudry, 1856, 2 volumes de planches, 1 volume de texte
  • http://www.etudes-francaises.net/jerusalem/photographie.htm#albums
  • http://expositions.bnf.fr/veo/photographes/ssindex06.htm
  • https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8458369z/f46.image
  • « Tout sur la photo – panorama des mouvements et des chefs-d’œuvre » sous la direction de Juliet Hacking, Flamarion, Paris 2012